Cour Constitutionnelle

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المحكمة الدستورية

Le portail de l’exception d’inconstitutionnalité

Décision n° 01/D.CC/EI/22 du 23 Joumada Ethania 1443 correspondant au 26 janvier 2022.

La Cour constitutionnelle,

Vu la Constitution, notamment en ses articles 195, 197, 198 et 225 ;

Vu la loi organique n° 18-16 du 22 Dhou El Hidja 1439 correspondant au 2 septembre 2018 fixant les conditions et modalités de mise en œuvre de l’exception d’inconstitutionnalité ;

Vu la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail ;

En vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière d’exception d’inconstitutionnalité portant application des Titres II et III du règlement du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel;

Vu la décision de renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité par la Cour suprême en date du 5 octobre 2021, sous le numéro de rôle 00008/21, enregistrée au greffe du Conseil constitutionnel en date du 14 octobre 2021, sous le numéro 04-2021/EI relative à une exception soulevée par Me. (A.E.H), avocat agréé près la Cour suprême et le Conseil d’Etat, représentant (A.M) qui soulève l’inconstitutionnalité de l’article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail;

Vu les notifications adressées au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire Nationale, au Premier ministre, au procureur général près la Cour suprême, en date du 20 octobre 2021, et aux parties en date du 21 octobre 2021 ;

Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale, le Premier ministre et le procureur général près la Cour suprême;

Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par Me. (A.E.H), avocat agréé près la Cour suprême et le Conseil d’Etat, représentant (A.M), demandant de déclarer l’inconstitutionnalité de l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail susvisé, dans ses dispositions qui prévoient de statuer en premier et dernier ressort en cas de licenciement abusif et la réintégration avec compensation, soulignant qu’il est contraire aux dispositions de l’article 37 de la Constitution qui stipule que « les citoyens sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de celle-ci, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale » et de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution qui prévoit que « la loi garantit le double degré de juridiction. La loi en précise les conditions et les modalités de son application »;

Les membres rapporteurs, MM. Djillali MILOUDI et Abbas AMMAR, entendus dans la lecture de leur rapport, lors de l’audience publique tenue le 26 janvier 2022;

Après avoir entendu les observations orales de Me. (A.E.H), avocat de (A.M), dans lesquelles il maintient ses observations écrites que la Constitution garantit l’égalité entre les citoyens devant la loi et la justice en vertu des articles 37 et 165, ce qui rend l’article 73-4 objet de saisine inconstitutionnel pour violation aux principes d’égalité entre les citoyens et du double degré de juridiction;

Après avoir entendu les observations orales du représentant du Gouvernement, qui maintient les observations écrites présentées visant à déclarer constitutionnel l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail susvisée;

Après délibération ;

Des procédures :

Attendu que (A.M), par le biais de son avocat Me. (A.E.H), a soulevé l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail, qui prévoit que « Si le licenciement d’un travailleur survient en violation des procédures légales et/ou conventionnelles obligatoires, le tribunal saisi, qui statue en premier et dernier ressort, annule la décision de licenciement pour non-respect des procédures, impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue et accorde au travailleur, à la charge de l’employeur, une compensation pécuniaire qui ne saurait être inférieure au salaire perçu par le travailleur comme s’il avait continué à travailler. Si le licenciement d’un travailleur survient en violation des dispositions de l’article 73 ci- dessus, il est présumé abusif. Le tribunal saisi, statue en premier et dernier ressort, et se prononce soit sur la réintégration du travailleur dans l’entreprise avec maintien de ses avantages acquis soit, en cas de refus par l’une ou l’autre des parties, sur l’octroi au travailleur d’une compensation pécuniaire qui ne peut être inférieure à six (6) mois de salaire, sans préjudice des dommages et intérêts éventuels. Le jugement rendu en la matière est susceptible de pourvoi en cassation ».

Attendu que la section sociale du tribunal de Chéraga, en statuant sur le litige entre (A.M), gérant d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL ATS VIP) de prestation de services, et (B.R), qui a été engagé par l’entreprise susmentionnée comme conducteur poids léger en vertu d’un contrat de travail à durée déterminée, a ordonné à l’employeur de verser le montant de 300.000 DA à l’employé, en compensation de son licenciement abusif et le montant de 133.333.33 DA pour les congés annuels et de lui délivrer une attestation de travail et les fiches de paie pour tous les mois.

Attendu que le nommé (A.M) a soulevé, à l’occasion du pourvoi en cassation près la Cour suprême, enregistré sous le numéro 1569703, en date du 29 août 2021, par le biais de son avocat Me (A.E.H), l’inconstitutionnalité de l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail susvisé, pour violation des principes d’égalité et du double degré de juridiction prévus aux articles 37 et 165 (alinéa in fine) de la Constitution.

Attendu qu’en date du 5 octobre 2021, la Cour suprême a statué et décidé du renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par (A.M) au Conseil constitutionnel.

Attendu que le Conseil constitutionnel a reçu l’arrêt de renvoi de la Cour suprême, en date du 5 octobre 2021, sous le numéro de rôle 00008/21, et enregistré auprès du greffe en date du 14 octobre 2021 sous le n° 2021-04/EI.

Attendu que le Président du Conseil constitutionnel en vertu d’un envoi en date du 20 octobre 2021, notifié au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire Nationale et au Premier ministre, ainsi qu’aux parties au procès initial arrêt de renvoi suscité en date du 21 octobre 2021, en fixant le 7 novembre 2021 date limite pour présenter leurs observations écrites.

Attendu que le Président du Conseil de la Nation a souligné dans ses observations écrites qu’il y a remise en cause du principe d’égalité devant la loi et la justice, et que, par conséquent, il semble que l’article 73-4 susmentionné est en contradiction avec les dispositions des articles 37 et 165 de la Constitution.

Attendu que le procureur général près la Cour suprême a souligné dans ses observations écrites que les jugements statuant sur les conflits de travail relatifs au licenciement et à la réintégration des travailleurs sont rendus en premier et dernier ressort, or l’article 165 (alinéa in fine ) de la Constitution consacre le droit au double degré de juridiction, ainsi le législateur aurait fait donc une distinction, en vertu des dispositions de l’article 73-4 de la loi relative aux relations de travail entre les justiciables en matière d’exercice du droit au double degré de juridiction, ce qui n’est pas conforme à ce qui est explicitement consacré par l’article 165 (alinéa in fine ) de la Constitution. Par ailleurs et conformément au principe d’égalité garantit par la Constitution à tous les citoyens devant la loi et la justice, en application des articles 37 et 165 (alinéa in fine), il serait inéquitable et injuste que le législateur restreigne le droit des parties de faire appel des jugements statuant sur les demandes de licenciement ou de réparation pour préjudice, et que, par conséquent le procureur général près la Cour suprême estime que l’article 73-4 susvisé, est incompatible avec l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution.

Attendu que le Président de l’Assemblée Populaire Nationale a souligné dans ses observations écrites que le constituant a effectivement prévu la garantie du double degré de juridiction en vertu de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, néanmoins il a chargé le législateur en vertu du même article de fixer les conditions et les modalités de sa mise en application. Ainsi dans le cadre de l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles, et notamment celles prévues aux articles 34 et 139 de la Constitution, le législateur a restreint l’exercice de ce droit (le double degré de juridiction) afin d’assurer la jouissance des droits par autrui (travailleurs) et à chaque fois qu’une dérogation particulière, en vertu d’une disposition législative, ciblant un des droits, est toléré au législateur, conformément aux dispositions de la Constitution elle-même, cette disposition ne porte aucunement atteinte à un des droits garantis par la Constitution, contrairement aux allégations du demandeur à travers l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 73-4 susvisé, qu’il soulève, et que, par conséquent, il s’avère que cet article ne porte aucune atteinte aux droits garantis par la Constitution, ce qui rend l’exception du demandeur non-fondée et que la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée, est conforme à la Constitution.

Attendu que le Premier ministre a affirmé dans ses observations écrites que l’article 73-4 susmentionné, a été légiféré principalement pour mettre fin à l’abus et aux procédures illégales auxquelles certains employeurs faisaient recours à l’encontre de leurs employés, et que la législation du travail tend, dans son ensemble, à réglementer la relation de travail qui se caractérise par certaines spécificités en étant une relation d’adhésion et aussi pour asseoir une sorte d’équilibre entre ses parties (l’employeur et l’employé), et que par conséquent, l’exception soulevée, selon laquelle l’article 73-4 ci-dessus, viole le principe d’égalité devant la loi, est non fondée. S’agissant du double degré de juridiction, le constituant ne l’a pas consacré d’une manière absolue, mais il renvoie à la loi pour fixer les conditions et les modalités de son application. Il ressort clairement que le constituant admet de son approbation que des restrictions peuvent être imposées à ce droit, ce qui constitue une dérogation à la règle, et que, par conséquent, la disposition législative que comporte l’article 73-4 susvisé, ne porte aucune atteinte au principe d’égalité devant la loi et au droit du double degré de juridiction consacrés en vertu des articles 37 et 165 (alinéa in fine) de la Constitution.

Au fond :

Attendu que le constituant a prévu, le droit au double degré de juridiction, en vertu de l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution, qui stipule que « la loi garantit le double degré de juridiction. La loi en précise les conditions et les modalités de son application » ;

Attendu que l’article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail, prévoit que « Si le licenciement d’un travailleur survient en violation des procédures légales et/ou conventionnelles obligatoires, le tribunal saisi, qui statue en premier et dernier ressort, annule la décision de licenciement pour non-respect des procédures, impose à l’employeur d’accomplir la procédure prévue, et accorde au travailleur, à la charge de l’employeur, une compensation pécuniaire qui ne saurait être inférieure au salaire perçu par le travailleur comme s’il avait continué à travailler. Si le licenciement d’un travailleur survient en violation des dispositions de l’article 73 ci-dessus, il est présumé abusif.

Le tribunal saisi, statue en premier et dernier ressort, et se prononce soit sur la réintégration du travailleur dans l’entreprise avec maintien de ses avantages acquis soit, en cas de refus par l’une ou l’autre des parties, sur l’octroi au travailleur d’une compensation pécuniaire qui ne peut être inférieure à six (6) mois de salaire, sans préjudice des dommages et intérêts éventuels. Le jugement rendu en la matière est susceptible de pourvoi en cassation ».

Attendu que s’il relève de la compétence du législateur de préciser les conditions et les modalités d’application du principe du double degré de juridiction, il incombe à la Cour constitutionnelle seule de déterminer l’étendue de la constitutionnalité de ces conditions et modalités et de s’assurer qu’elles ne portent pas atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution ;

Attendu que l’article 165 (alinéa in fine) de la Constitution affirme que la loi garantit le double degré de juridiction et que par conséquent, il accorde cette compétence exclusivement à la loi, c’est-à-dire, il revient au législateur de déterminer les conditions et les modalités de son application, ainsi il confère au principe du double degré de juridiction une valeur législative et au législateur, tacitement, la prérogative d’imposer les restrictions et les dérogations nécessaires. Ainsi, le recours en appel constitue un principe général de procédure pour lequel seule la loi peut imposer une exception, et par conséquent, le principe du double degré de juridiction a une valeur législative dans la hiérarchie des normes, c’est-à-dire, l’exception d’un degré de juridiction dans certains litiges ne constitue pas en soi une atteinte à la Constitution ;

Attendu qu’en formulant l’article, objet de l’exception d’inconstitutionnalité dans l’affaire en cours, le législateur a attribué à la juridiction sociale des règles procédurales particulières qui se distinguent par le principe de célérité et de la préservation des intérêts sociaux et professionnels de la catégorie des travailleurs et le règlement de leurs litiges ne reste pas lié à de longues et complexes règles procédurales générales. Ainsi, le droit d’appel pourrait donc être limité sans préjudice des garanties judiciaires substantielles des justiciables, et que par conséquent, l’annulation de l’appel en matière de litiges relatifs aux relations de travail ne porte pas atteinte aux droits des citoyens, mais veille au bon fonctionnement de la justice ;

Attendu que les affaires sociales et, notamment celles relatives au licenciement abusif, ont un caractère urgent aussi bien pour les délais de leur enroulement, du prononcé de leurs jugements que pour leur exécution, et de l’exonération totale ou partielle de l’employé des frais judiciaires, compte tenu de sa situation matérielle, professionnelle et sociale, qui souvent ne lui permettent pas de supporter à la longueur de l’attente du délai de règlement de son affaire ;

Attendu que les conflits de travail, avant qu’ils ne soient portés devant la juridiction, font l’objet d’une procédure préliminaire en vue d’un règlement à l’amiable. Les conventions et les traités collectifs du travail en définissent les procédures internes de règlement au sein de l’organisme employeur, où le travailleur peut se plaindre auprès de son employeur, puis recourir à l’inspection du travail, puis porter le litige devant le bureau de conciliation, qui est une procédure substantielle avant de recourir à la juridiction chargé des affaires sociales, comme dernière étape pour résoudre les conflits de travail lorsque toutes les tentatives de règlement à l’amiable, sont vouées à l’échec ;

Attendu que l’article 34 (alinéa 2) de la Constitution prévoit exceptionnellement la restriction des droits, libertés et garanties pour des raisons liées au maintien de l’ordre public, à la sécurité et à la protection des constantes nationales, ainsi que celles nécessaires à la protection d’autres droits et libertés consacrés par la Constitution ;

Attendu que tant qu’il appartient au législateur d’établir les conditions et les modalités du double degré de juridiction, il peut, par ce moyen, garantir ce principe dans tous les conflits de travail lorsqu’il le juge approprié ;

Attendu que, par conséquent et compte tenu de ce qui précède, l’article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail n’est pas en contradiction avec les articles 37 et 165 (alinéa in fine) de la Constitution.

Par ces motifs :

La Cour constitutionnelle décide :

Premièrement : déclare la constitutionnalité de l’article 73-4 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail.

Deuxièmement : le Président de la République, le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre, sont informés de la présente décision.

Troisièmement : la présente décision sera notifiée au premier président de la Cour suprême.

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.

Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en ses séances des 7, 21 et 23 Joumada Ethania 1443 correspondant aux 10, 24 et 26 janvier 2022.

Le président de la Cour constitutionnelle

Omar BELHADJ

Leïla ASLAOUI, membre ;
Mosbah MENAS, membre ;
Djilali MILOUDI, membre ;
Ameldine BOULANOUAR, membre ;
Fatiha BENABBOU, membre ;
Abdelouahab KHERIEF, membre ;
Abbas AMMAR, membre ;
Abdelhafid OSSOUKINE, membre ;
Mohamed BOUTERFAS, membre.

Disposition législative ou réglementaire contestée :


Date de décision : 26/01/2022

Origine de renvoi : Cour suprême

Dispositif de décision : Constitutionnelle

Nature de la disposition contestée : Disposition législative

Publication au JO