La Cour constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu la loi organique n° 22-19 du 26 Dhou El Hidja 1443 correspondant au 25 juillet 2022 fixant les procédures et modalités de saisine et de renvoi devant la Cour constitutionnelle ;
Vu l’ordonnance n° 71-57 du 5 août 1971, modifiée et complétée, relative à l’assistance judiciaire ;
Vu la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative ;
En vertu de la délibération du 23 Rabie Ethani 1443 correspondant au 28 novembre 2021 relative aux règles de fonctionnement de la Cour constitutionnelle en matière d’exception d’inconstitutionnalité portant application des Titres II et III du règlement du 7 Ramadhan 1440 correspondant au 12 mai 2019, modifié et complété, fixant les règles de fonctionnement du Conseil constitutionnel ;
Vu la décision de renvoi du Conseil d’Etat, troisième chambre, sous le numéro de répertoire 00002/22 en date du 15 juin 2022, enregistrée au greffe de la Cour constitutionnelle en date du 24 juillet 2022, sous le numéro 06/2022 portant exception d’inconstitutionnalité des articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 suscitée, au motif qu’ils sont contraires aux articles 34, 35, 37, 77, 164, 165, 175, 177 et 195 de la Constitution, soulevée par M. (A.M), à l’occasion de l’appel interjeté dans son affaire devant la troisième chambre du Conseil d’Etat à l’encontre de la commune de Bordj Zemoura, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj ;
Vu les notifications transmises au Président de la République, au Président du Conseil de la Nation, au Président de l’Assemblée Populaire Nationale, au Premier ministre et aux parties en date du 26 juillet 2022, leur fixant un délai n’excédant pas le 14 août 2022, pour présenter leurs observations écrites ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre ;
Après avoir pris connaissance des observations écrites présentées par le demandeur dans l’exception (A.M), en réponse aux observations écrites des autorités susmentionnées ;
Après avoir entendu le membre rapporteur dans la lecture de son rapport écrit en audience publique, tenue le 26 octobre 2022 ;
Après avoir entendu les observations orales du demandeur dans l’exception (A.M) en audience publique du 26 octobre 2022, dans lesquelles il confirme la teneur de ses observations écrites et réitère, en particulier, l’inconstitutionnalité de l’article 174 de l’ordonnance n° 06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique ;
Après avoir entendu les observations orales du représentant du Gouvernement en audience publique, tenue le 26 octobre 2022, dans lesquelles il affirme que suite à l’abrogation de l’article 826 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative en vertu de l’article 14 de la loi n° 22-13 du juillet 2022, l’exception soulevée n’a plus d’objet.
Après délibération ;
Des procédures :
Attendu que le demandeur dans l’exception (A.M) demeurant à Draa Hlima, commune de Bordj Zemoura, wilaya de Bordj Bou Arréridj, à l’occasion de l’appel interjeté dans son affaire devant la troisième chambre du Conseil d’Etat, à l’encontre de la commune de Bordj Zemoura, dans la wilaya Bordj Bou Arréridj, soulevé l’exception d’inconstitutionnalité des articles : 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 susmentionnée, en soulignant qu’ils sont contraires aux articles 34, 35, 37, 77, 164, 165, 175, 177 et 195 de la Constitution, et portent atteinte à ses droits constitutionnels, notamment les droits à l’égalité, à la défense et à l’accessibilité de tous à la justice ;
Attendu qu’en date du 14 novembre 2021, le demandeur dans l’exception a introduit une action devant le tribunal administratif de Bordj Bou Arréridj à l’encontre de la commune de Bordj Zemoura, pour avoir fait l’objet d’une mesure de suspension conservatoire en date du 3 juillet 2011, et d’une poursuite pénale pour avoir photographié dans un lieu privé, en sollicitant d’écarter son dossier administratif et financier, de le muter à une autre commune, de le réhabiliter, d’examiner la question de sa privation de son expérience professionnelle et de lui verser une indemnisation de cent millions de dinars algériens ;
Attendu qu’à l’occasion de ladite action, le demandeur dans l’exception a soulevé l’inconstitutionnalité de la disposition relative à l’obligation du ministère d’avocat devant les juridictions administratives, prévue aux articles 815 et 826 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 susmentionnée ;
Attendu qu’en date du 27 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordj Bou Arréridj a rendu un jugement par lequel il a refusé de transmettre ladite exception au Conseil d’Etat, et a statué sur l’action initiale en la rejetant en la forme en date du 4 avril 2022 ;
Attendu que le demandeur dans l’exception a interjeté appel devant le Conseil d’Etat contre le jugement rendu dans l’affaire initiale et y a déposé, en date du 16 avril 2022, un mémoire écrit et distinct en soulevant l’exception d’inconstitutionnalité des articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 susmentionnée, en soulignant qu’ils portent atteinte à la garantie d’accès à la justice et à l’égalité devant elle, prévus aux articles 164 et 165 de la Constitution, en considérant que l’obligation du ministère d’avocat constitue une violation des droits et libertés garantis par la Constitution, notamment la protection légale et la garantie de la sécurité juridique ;
Attendu que le commissaire d’Etat près le Conseil d’Etat a sollicité, en date du 7 juillet 2022, de déclarer la recevabilité de l’exception en la forme et de refuser, au fond, sa transmission à la Cour constitutionnelle pour manque de sérieux ;
Attendu que le Conseil d’Etat a rendu en date du 15 juin 2022 un arrêt sous le numéro de répertoire 00002/22 par lequel il a renvoyé devant la Cour constitutionnelle l’exception d’inconstitutionnalité de la disposition législative prévue par les articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 susmentionnée, au motif qu’ils sont en contradiction avec les articles 34, 35, 37, 77, 164, 165, 175, 177 et 195 de la Constitution ;
Attendu que la Cour constitutionnelle a été rendue destinataire de l’arrêt de renvoi rendu par la troisième chambre du Conseil d’Etat susmentionné, qui a été enregistré au greffe le 24 juillet 2022 sous le numéro 06/2022 ;
Attendu que le Président de la Cour constitutionnelle a notifié les autorités dûment concernées et les parties et a fixé la date du 14 août 2022 comme dernier délai pour présenter leurs observations écrites ;
Attendu que le Président du Conseil de la Nation a affirmé dans ses observations écrites que suite à l’abrogation de l’article 826 de la loi n° 08-09 suscitée, en vertu de l’article 14 de la loi n° 22-13 du 12 juillet 2022 modifiant et complétant la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative, devient sans objet l’exception d’inconstitutionnalité, et qu’il convient de l’écarter, en soulignant que les autres aspects objet d’exception d’inconstitutionnalité dans la présente affaire, à savoir les articles 815, 904, 905 et 906 de la même loi, sous prétexte de violation des droits constitutionnels prévus aux articles 34, 35, 37, 77, 164 et 165 de la Constitution, ne concordent pas avec les dispositions de ces articles constitutionnels, ce qui rend l’exception infondée et qu’il y a lieu de la rejeter ;
Attendu que le Président de l’Assemblée Populaire Nationale a affirmé, dans ses observations écrites, que l’article 826 suscité, ne constitue aucune violation des droits constitutionnels, mais par contre renforce, entre autre, la protection des droits du justiciable, qui puisse de ce fait bénéficier de l’expertise et de la spécialisation acquises par l’avocat, en vue d’augmenter les chances de persuasion du juge, en soulignant, par ailleurs, que la loi relative à l’assistance judiciaire garantie la gratuité de la défense pour les justiciables nécessiteux, ce qui n’entrave pas l’accès à la justice, et que les articles 164 et 165 de la Constitution n’ont aucun lien avec le dispositif constitutionnel relatif aux droits fondamentaux et libertés publiques prévus aux articles de 34 à 77 de la Constitution, ce qui rend l’exception soulevée par le requérant infondée et la disposition législative, objet d’inconstitutionnalité, conforme à la Constitution ;
Attendu que le Premier ministre a affirmé, dans ses observations écrites, que suite à l’abrogation de l’article 826 du code de procédure civile et administrative, en vertu de l’article 14 de la loi n° 22-13 susmentionnée, le ministère d’avocat devant le tribunal administratif n’est plus obligatoire, à l’instar de ce qui est consacré pour les tribunaux relevant de l’ordre judiciaire ordinaire, et par conséquent l’exception d’inconstitutionnalité de cet article n’a plus d’objet ;
Attendu que le demandeur dans l’exception a réitéré, dans ses observations écrites, les étapes et les faits liés au litige qui l’oppose à la commune de Bordj Zemoura, en soulevant en parallèle l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 174 de l’ordonnance n° 06-03 du 15 juillet 2006 portant statut général de la fonction publique et l’article 538 de la loi n° 08-09 susmentionnée ;
Au fond :
Attendu que le demandeur dans l’exception soulève l’inconstitutionnalité des articles 815, 826, 904, 905 et 906 de la loi n° 08-09 suscitée, au motif qu’ils portent atteinte au droit d’accès à la justice et à l’égalité devant elle, qui sont des droits garantis par les articles 164 et 165 de la Constitution, et considère que l’obligation du ministère d’avocat constitue une violation des droits et libertés garantis par la Constitution notamment la protection légale et la sécurité juridique ;
Attendu que le Président du Conseil de la Nation, le Président de l’Assemblée Populaire Nationale et le Premier ministre ont affirmé, dans leurs observations écrites, que suite à la promulgation de la loi n° 22-13 susmentionnée, modifiant et complétant la loi n° 08-09 suscitée, qui a modifié l’article 815 et abrogé l’article 826, l’exception soulevée par le requérant n’a plus d’objet ;
Attendu que le code de procédure civile et administrative ne prévoit plus l’obligation du ministère d’avocat devant le tribunal administratif, suite à la promulgation de la loi n° 22-13 susmentionnée, et la modification de l’article 815 qui dispose désormais que : « le tribunal administratif est saisi par une requête écrite ou par voie électronique », alors qu’il disposait auparavant que « sous réserve des dispositions de l’article 827 ci-dessous, le tribunal administratif est saisi par une requête signée par un avocat », en sus de l’abrogation totale de l’article 826 qui stipulait que : « le ministère d’avocat est obligatoire devant le tribunal administratif sous peine d’irrecevabilité de la requête », en mettant ainsi tous les justiciables sur le même pied d’égalité devant les tribunaux de l’ordre judiciaire ordinaire et administratif, qu’il s’agisse des personnes morales ou physiques, en leur garantissant l’égalité des chances, et en leur permettant d’introduire des actions devant les tribunaux de première instance sans l’obligation du ministère d’avocat, ce qui rend, par conséquent, l’exception de leur inconstitutionnalité sans objet et dénuée de tout fondement ;
Attendu que l’article 904 de la loi n° 08-09 suscitée, objet d’inconstitutionnalité, ne comporte guère la disposition relative à l’obligation du ministère d’avocat, vu qu’il renvoie à l’article 815, modifié en vertu de l’article 6 de la loi n° 22-13 suscitée, ce qui rend aussi l’exception de son inconstitutionnalité sans objet et dénuée de tout fondement ;
Attendu que l’imposition prévue par le législateur de l’obligation du ministère d’avocat devant le Conseil d’Etat, en vertu de l’article 905 de la loi n° 08-09 suscitée, qui dispose que « la requête, les recours et les mémoires des parties doivent l’être à peine d’irrecevabilité, par un avocat agréé au Conseil d’Etat… » s’explique par la spécificité du contentieux administratif, et le rôle exceptionnel de la défense dans la mise en avant des aspects juridiques se rapportant à l’objet du litige, ainsi que le rôle fondateur et créateur du juge administratif, en étant parfois le fondateur de la règle régissant le litige, ce qui a fait de la justice la source principale du droit administratif ;
Attendu que la complexité de la matière administrative et la diversité de ses sujets, en sus de son caractère complexe et technique a conduit à une inflation des lois et des règlements y afférents, par conséquent, la présence d’un avocat dans le contentieux administratif, ainsi que sa capacité de révéler le contenu des différentes règles juridiques liées à l’objet du litige et l’assistance qu’il apporte au juge administratif en vue d’aboutir à un jugement juste et équitable, constituent un apport au service de la justice administrative ;
Attendu que l’obligation du ministère d’avocat prévue par le législateur pour les personnes physiques et les personnes morales de droit privé en phase d’appel et de cassation devant les juridictions administratives, n’exclut pas la possibilité de leur accès à la justice, si leur situation financière et sociale ne le leur permet pas, du moment que la Constitution leur donne droit à l’assistance judiciaire en vertu de son article 42, qui prévoit que « les personnes démunies ont droit à l’assistance judiciaire », et renvoie au législateur la détermination des conditions d’application de cette disposition ;
Attendu que l’article premier (alinéa 1er) de l’ordonnance n° 71-57 du 5 août 1971, modifiée et complétée, relative à l’assistance judiciaire prévoit que « les personnes physiques et les personnes morales à but non lucratif dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir ou défendre leurs droits en justice, peuvent bénéficier de l’assistance judiciaire » ;
Attendu qu’afin de préserver le statut juridique des personnes physiques et des personnes morales de droit privé devant les juridictions administratives, dans le cas où leur situation financière et sociale ne leur permet pas d’engager un avocat, il leur est accordé le droit à l’assistance judiciaire de manière à leur assurer le droit d’ester en justice, garantissant ainsi le principe qui dispose que « la justice est accessible à tous » tel qu’énoncé à l’article 165 (alinéa 2) de la Constitution ;
Attendu que concernant l’article 906 de la loi n° 08-09 suscitée, objet d’inconstitutionnalité, au motif qu’il renvoie à l’application des articles de 826 à 828 de ladite loi concernant le ministère d’avocat devant le Conseil d’Etat, il y a lieu de relever que suite à l’abrogation de l’article 826 en vertu de la loi n° 22-13 suscitée, l’exception d’inconstitutionnalité porte désormais sur la partie relative à l’exemption des personnes morales de droit public du ministère d’avocat devant les juridictions administratives ;
Par conséquent, les articles 905 et 906 de la loi n° 08-09 susmentionnée, objet d’inconstitutionnalité, ne sont pas contradictoires avec les articles 34, 35, 37, 164 et 165 de la Constitution, du fait qu’ils ne portent aucunement atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés publiques des citoyens, notamment en matière de garantie de l’égalité en droits et libertés entre eux, de l’égalité devant la loi et la justice, du droit à l’égale protection et à la nondiscrimination et de l’accessibilité de tous à la justice.
Par ces motifs
Décide ce qui suit :
Premièrement : déclare que l’exception d’inconstitutionnalité des articles 815 et 826 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, modifiée et complétée par la loi n° 22-13 du 13 Dhou El Hidja 1443 correspondant au 12 juillet 2022, devient sans objet, suite à la modification du premier et l’abrogation totale du second.
Deuxièmement : déclare écarter l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 904 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative, modifiée et complétée par la loi n° 22-13 du 13 Dhou El Hidja 1443 correspondant au 12 juillet 2022, en raison de son renvoi à l’article 815 qui ne prévoit plus l’obligation du ministère d’avocat devant le tribunal administratif.
Troisièmement : déclare constitutionnels les articles 905 et 906 de la loi n° 08-09 du 18 Safar 1429 correspondant au 25 février 2008, modifiée et complétée, portant code de procédure civile et administrative.
Quatrièmement : le Président de la République, le président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée populaire nationale et le Premier ministre, sont informés de la présente décision.
Cinquièmement : la présente décision sera notifiée au président du Conseil d’Etat.
Sixièmement : la présente décision sera publiée au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire.
Ainsi en a-t-il été délibéré par la Cour constitutionnelle en ses séances des 23 et 29 Rabie El Aouel et du 1er Rabie Ethani 1444 correspondant aux 18, 25 et 26 octobre 2022.
Le Président de la Cour constitutionnelle
Omar BELHADJ.
— Leïla ASLAOUI, membre ;
— Bahri SAADALLAH, membre ;
— Mosbah MENAS, membre ;
— Djilali MILOUDI, membre ;
— Fatiha BENABBOU, membre ;
— Abdelouahab KHERIEF, membre ;
— Abbas AMMAR, membre ;
— Abdelhafid OSSOUKINE, membre ;
— Amar BOUDIAF, membre ;
— Mohamed BOUTERFAS, membre.